Le journaliste Pierre Carrey vient de publier son analyse, “Croquettes pas nettes“, et détaille les rouages du “juteux marché de la nourriture pour animaux domestiques”. J’ai été contacté par Pierre quelques jours auparavant pour lui donner mon sentiment sur ce sujet, et lui partager mes découvertes, parfois déconcertantes.
L’article final est d’excellente facture. L’exercice de synthèse est ici réussi, surtout pour un sujet aussi vaste que la Pet Food. Un sujet qui comprend la réglementation européenne, le lobbyisme industriel auprès du législateur et des écoles vétérinaires, la qualité des croquettes ou la santé animale.
Depuis plusieurs années maintenant, je dénonce la proximité dérangeante entre le secteur privé et le milieu vétérinaire, notamment les écoles nationales vétérinaires et les centres de formation continue. À ma plus grande surprise, l’école nationale vétérinaire de Nantes n’a pas souhaité confirmer au journaliste de Libération si la société Hill’s avait toujours une chaire pour l’enseignement et la recherche en nutrition préventive. Un lien manifestement dérangeant pour l’école, ou qui ne justifie aucune explication.
Indépendance et expertise malmenée
Mais le journaliste de Libération a réussi à obtenir des déclarations intéressantes de la part de personnalité bien connue du milieu Pet Food, le professeur Bernard-Marie Paragon et de la Facco, la Fédération des fabricants d’aliments pour animaux domestiques. Malgré le fait que le Pr Paragon admette être rémunéré par l’industrie Pet Food, il estime conserver son libre arbitre et son indépendance. Les explications données, comme participer aux “bancs d’essai” de l’association UFC-Que choisir, ou siéger à titre gracieux au sein de la Fediaf, ne garantissent pas, selon moi, une quelconque indépendance.
Le professeur émérite à l’école vétérinaire d’Alfort juge qu’il n’est pas en situation de conflits d’intérêts, mais qu’il détient uniquement des liens d’intérêts. Un lien d’intérêt devient un conflit d’intérêts quand l’expertise intervient dans le champ des liens d’intérêts. Autrement dit, un vétérinaire qui reçoit de l’argent pour des recherches sur des antidiabétiques pour chien pourrait s’exprimer sur la qualité des croquettes, sans conflit d’intérêts.
Dans cet exemple fictif, il ne possède que des liens d’intérêts qui se transformeraient en conflits d’intérêts s’il devait s’exprimer sur l’intérêt ou non des antidiabétiques. Ainsi, si le professeur Paragon reçoit des fonds de la part de sociétés qui commercialisent de la nourriture pour animaux domestiques, il est en situation de conflit d’intérêts sur ce sujet. Cela ne remet pas en cause son expertise, mais il pourrait être influencé à son insu ou non. C’est la position officielle des plus prestigieux journaux scientifiques de la planète.
L’indépendance des experts n’est pas une volonté sortie d’un chapeau de trois éberlués. Non, l’indépendance des experts est une nécessité de santé publique qui s’applique également pour le milieu Pet Food. Les liens d’intérêts qui aboutissent dans certaines situations à de véritables conflits d’intérêts peuvent nuire à la qualité de l’expertise.
C’est un fait scientifiquement démontré, un fait publiquement admis, dont les dérives font malheureusement régulièrement la une des journaux du monde entier. Alors si les experts indépendants se font de plus en plus rares, il n’est donc pas étonnant que les experts liés à l’industrie soient sollicités régulièrement, et notamment par les écoles nationales vétérinaires.
L’autorégulation : un scandale
Sans surprise, la Facco estime qu’il faudrait “être bien naïf” pour croire que la Fédération écrit elle-même les normes. À juste titre, le journaliste Pierre Carrey rappelle qu’au niveau européen, c’est ben la Fediaf qui joue pleinement son rôle dans le processus de régulation. La Fediaf l’assume parfaitement. Elle possède sur son site internet une page dédiée “autorégulation” avec le fameux guide de bonne pratique associé au règlement européen. Un guide produit par la Fediaf, qui représente tous les industriels de la Pet Food en Europe.
Malheureusement, l’État devrait se charger de réguler ce secteur, mais il n’a probablement ni le temps ni les moyens de le faire. Le professeur Paragon estime que la situation actuelle ne devrait pas changer. Personnellement, je la déplore. Mais il est vrai que nous avons déjà tellement de travail de régulation pour l’alimentation humaine, l’élevage, l’utilisation des pesticides, que le dossier Pet Food paraît malheureusement superflu.
Il n’empêche qu’il en résulte des dérives aussi impressionnantes qu’inacceptables. Une industrie qui s’impose ses propres cahiers des charges en termes de compositions et d’étiquetage. Une industrie européenne qui n’a rien a envié à sa cousine outre-Atlantique, qui joui des mêmes privilèges.
Cet article paru dans Libération est une excellente mise en bouche sur ce vaste et épineux dossier de la nourriture pour animaux domestiques. Un sujet qui, espérons-le, intéressera davantage les journalistes et certaines leaders d’opinions, pour faire connaître des situations, dérangeantes pour certains, et scandaleuses pour d’autres.
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Une enquête édifiante et scandaleuse au coeur de l’industrie pet food, dans les écoles nationales vétérinaires, les centres d’équarissages, les élevages…