The China Study se veut être l’une des études les plus complètes jamais réalisées sur l’impact de notre alimentation sur notre santé. L’ouvrage écrit par Colin et Thomas Campbell accable les produits animaux, promoteurs de maladies, tandis que les végétaux sont encensés. Mais l’ouvrage phare de la nutrition est truffé d’approximations, de lacunes statistiques et logiques qui ne valident pas le parti pris des auteurs.
The China Study : une référence en nutrition ?
The China Study a été écrit par Colin et Thomas Campbell pour décrire l’impact de notre alimentation sur notre santé, et la survenue de nos fameuses maladies de civilisation (maladies cardiovasculaires, cancers, etc.) dans une vaste étude conduite en Chine.
Le livre, paru en 2005 et enrichi en 2016, est un plaidoyer pour l’alimentation végétale, brute et non raffinée. Une alimentation riche en végétaux, fruits et produits complets apporterait santé et longévité, tandis que les protéines et graisses animales ainsi que les sucres raffinés dégraderaient notre état de santé.
The China Study est une référence dans le monde végétarien et végétalien. Il est considéré comme fiable, scientifiquement robuste, presque irréprochable pour expliquer les mécanismes biologiques qui nous protègent des maladies chroniques et des cancers, et l’inverse.
La description du livre ne laisse planer aucun doute :
“Ce qu’ils ont trouvé […] leur a fait prendre conscience des dangers d’un régime riche en protéines animales et des avantages inégalés pour la santé d’un régime complet à base de plantes.”1
La vision de Colin Campbell sur la santé et la nutrition est plutôt dichotomique. D’un côté le blanc, avec les fruits, les légumes et les céréales complètes, et de l’autre le noir, avec les produits animaux, les graisses saturées et les sucres raffinés.
Une vision difficile à comprendre tellement les études scientifiques dans le domaine de la nutrition ont tendance à se contredire, à être biaisés par les financements et les liens d’intérêts, et souffrir d’une faible qualité méthodologique.
Mais l’ouvrage de Colin et Thomas Campbell, et de bien d’autres, soulève une importante question.
- Quelle crédibilité scientifique et médicale peut-on accorder à des ouvrages destinés au grand public ?
- Les livres sont-ils des récits fiables et impartiaux de nos connaissances scientifiques et médicales sur un sujet donné ? Si certains ouvrages dépeignent avec brio nos connaissances du moment, d’autres non.
Le parti pris, l’idéologie, les conflits d’intérêts sont autant de paramètres qui peuvent influencer la qualité finale d’un ouvrage destiné au grand public.
À cela, on peut rajouter un défi de taille. Il est bien plus difficile de faire la critique d’un livre, long et multi-référencé, que d’un simple article de presse ou d’un magazine de santé en ligne. Devant l’épaisseur d’un ouvrage, et la quantité de référence, le travail de validation et d’analyse devient gargantuesque.
Pourtant, certains groupes de professionnels de la nutrition ou des passionnés se sont lancé – parfois depuis longtemps – dans la critique constructive de nombreux ouvrages de santé et de nutrition, dont celui Colin et Thomas Campbell.
Les résultats de ces analyses ne penchent pas en faveur d’un livre objectif et scientifiquement irréprochable, bien au contraire.
Frugivore, carnivore et omnivore : l’homme est un monstre adaptatif pour se nourrir. Une enquête à découvrir sur le régime alimentaire “idéal” de l’homme dans les colonnes de Dur à Avaler.
Denise Minger : le poil à gratter depuis 2010
Elle est connue de bon nombre de passionnés de la nutrition et de la santé. Cette blogueuse et écrivaine s’est fait connaître pour ses fines analyses en nutrition et santé. Ancienne végétalienne, elle a publié plusieurs articles qui avertissent sur les risques de ce régime sur la santé, dont la déficience en choline, en vitamine A et d’autres (vitamine K notamment).
Elle est également écrivaine avec la publication d’un livre sur la nutrition : Death by pyramid food parue en 2014 aux éditions Primal Blueprint.
Denise Minger s’est aussi, et surtout, faite connaître pour sa plume tranchante et sans pitié sur l’ouvrage de Colin Campbell, notre fameuse China Study.
Des critiques abondamment relayées sur la toile, dans les forums sur la nutrition et dans de nombreuses conversations touchant au végétalisme et à la consommation de produits animaux. Des critiques suffisamment intéressantes (et médiatisées) pour que Colin Campbell y réponde lui-même .
Depuis, Denise Minger a noirci de nouvelles pages remettant en cause l’objectivité et la qualité des analyses – et donc des interprétations – de l’ouvrage de référence sur ce sujet. Parmi les griefs faits à Colin Campbell, on retrouve pêle-mêle :
- l’omission de différents paramètres jugés non pertinents (sucres et glucides raffinés par exemple)
- la réalisation de corrélation avec des modèles non ajustés (autrement dit, la non-prise en compte de facteurs de confusions, on y reviendra plus bas)
- l’omission de corrélations qui montrent des associations neutres ou négatives entre les produits animaux et certaines maladies
- la non-réalisation d’analyses complémentaires pour vérifier des hypothèses alternatives (mais qui vont à l’encontre du message principal du livre)
- des lacunes logiques et statistiques, notamment dans le lien entre protéines animales, élévation du cholestérol et mortalité par cancer
Cette liste est loin d’être exhaustive et montre que la science de la nutrition, surtout celle fondée sur l’épidémiologie et les questionnaires de fréquence alimentaire, est imparfaite.
Ces premières critiques soulèvent donc un point important : est-ce que Colin Campbell a réalisé des analyses, des études, des statistiques dans l’objectif de soutenir son idée de départ ? La question mérite d’être posée puisque de nombreuses limitations ne semblent pas plaider en faveur d’une démarche loyale et impartiale.
Red Pen Review : nouveau camouflet pour Campbell
Plus récemment, c’est l’association anglo-saxonne Red Pen Reviews (RPR) qui vient de publier une nouvelle analyse d’un ouvrage grand public, celui de Thomas et Colin Campbell.
L’association réalise des critiques des grands ouvrages en santé qui échappent à la relecture par les pairs (ou peer-review en anglais), selon une charte éditoriale assez claire. C’est le président et le fondateur de l’association, Stephen Guyenet, qui a réalisé cette lecture critique avec Travis Masterson qui a assuré la relecture et qui ne déclare aucun lien d’intérêt.
Trois affirmations majeures de l’ouvrage The China Study ont été analysées par l’équipe de RPR :
- “Les aliments d’origine animale tels que les produits laitiers et la viande sont une cause majeure de cancer, notamment en raison du type de protéines qu’ils contiennent”.
- “Les aliments d’origine animale sont une cause majeure de maladie cardiovasculaire”.
- “Un régime complet à base de plantes prévient et renverse les maladies cardiovasculaires”2.
Bilan de la synthèse et de l’analyse :
- l’ouvrage écope d’un score général de 64/100,
- avec une exactitude scientifique de seulement 48/100 (autrement dit la véracité des allégations par rapport à la littérature internationale).
- L’exactitude des références, ou si les références sont correctement interprétées et citées, est correcte avec un score de 85/100.
- Finalement, la dernière mesure, les bienfaits pour la santé de suivre les conseils de l’ouvrage, sont noté à 58/100.
Mais RPR est allé encore un peu plus loin. Ils ont extrait les données brutes récoltées dans l’étude de Campbell et les ont faites analyser par un statisticien professionnel. Nous n’avons pas les résultats des analyses réalisées, mais d’après Stephen Guyenet, plus aucune association défendue dans l’ouvrage n’est retrouvée.
Autrement dit, les analyses faites par RPR arrivent aux mêmes conclusions de Denise Minger à son époque : les corrélations ajustées avec tous les paramètres habituels ne font plus émerger d’associations négatives entre la consommation de produits animaux et le risque de mourir d’un cancer.
En revanche, RPR estime que “l’affirmation selon laquelle un régime complet à base de végétaux réduirait le risque de maladie cardiovasculaire est assez convaincante”.
Les analyses réalisées par l’association Red Pen Reviews ne doivent pas non plus être prises pour argent comptant. On vous invite à lire la synthèse complète et très détaillée sur le site de l’association pour mesurer pleinement la portée de cette analyse. Cette association a au moins le mérite de produire une première analyse constructive des ouvrages en santé destinés au grand public.
- Lire notre présentation détaillée de l’association Red Pen Reviews et les potentiels conflits d’intérêts de certains auteurs (non impliqués dans cette analyse)
Les produits animaux concentrent les attaques
La tendance nutritionnelle du moment est clairement dirigée contre les produits animaux et notamment la viande rouge. Les études sur ce sujet produisent des résultats contradictoires avec des faiblesses méthodologiques importantes.
Si les associations négatives semblent se renforcer entre la consommation de viande rouge transformée (les hamburgers, saucissons, etc.) et différentes maladies, l’histoire n’est plus la même pour de la viande rouge non transformée.
L’histoire serait probablement encore différente si des études prospectives étaient capables de faire la différence entre les différentes sources de viande rouge. Car il y a viande et viande. Le problème étant que ces questions nutritionnelles, déjà éminemment complexes, se surajoutent aux questions environnementales et éthiques avec le bien-être des animaux.
Il est de plus en plus difficile aujourd’hui de discuter des effets de la consommation de produits animaux sur la santé sans tenir compte de ces paramètres.
Quoi qu’il en soit, si les gros consommateurs de produits animaux majoritairement industriels et ultra-transformés prennent des risques évidents pour leur santé, des doutes de plus en plus étayés se concentrent aussi sur l’innocuité à long terme d’une diète strictement végétale.
Les fameux avis positifs des associations de diététiques aux diètes strictement végétales qui sont insuffisamment sourcés et détaillés ne permettent pas non plus de rassurer les plus sceptiques.
Ce débat est loin d’être terminé. Le sera-t-il seulement un jour ? Probablement pas, mais nous avons plus que jamais besoin d’études plus rigoureuses et d’analyses contradictoires pour mesurer pleinement les effets de notre alimentation sur notre santé à court, moyen et long terme.