On accuse les auteurs de l’étude du Lancet négative sur l’hydroxychloroquine d’avoir tous des liens d’intérêts avec les laboratoires concurrents, notamment Gilead. Tout cela ne repose sur rien de sérieux, mais sur des insinuations et des erreurs manifestes.
Sommaire
À peine publiée, l’étude parue dans le prestigieux Lancet qui montre l’inefficacité et la dangerosité de l’hydroxychloroquine (HCQ) et de l’azithromicine (AZ) était déjà attaquée de toute part…
Non pas pour sa méthodologie obscure qui soulèvent des questions légitimes sur la validité de ses résultats, mais sur les quatre auteurs qui auraient tous des liens avec Gilead.
Gilead, c’est le fabricant du remdesivir, un concurrent de l’HCQ et de l’AZ, qui eux ne coûtent rien. La tentation est donc très forte de penser que Gilead a sciemment rémunéré quatre scientifiques pour détruire tout espoir d’autorisation de mise sur le marché du concurrent plébiscité par Didier Raoult.
La tentation est d’autant plus forte que plusieurs articles détaillent ces nombreux liens d’intérêts. Un article en particulier fait le buzz sur les réseaux sociaux, celui d’Eric Verhaeghe, du blog “Le courrier des stratèges”, qui soutient qu’aucun auteur “n’est vierge de conflit d’intérêt dans ce dossier, et chacun d’eux a des relations d’intérêt patentes avec des concurrents de l’hydroxychloroquine.”
Les mots sont forts. Les accusations sont limpides. Mais clairement bien au-dessus de la réalité, en plus d’être totalement fantaisistes.
Car ici on parle de conflits d’intérêts graves et puissants, au point de pousser des scientifiques à faire de la mauvaise science pour des intérêts économiques ou moraux. Il faut que ces liens d’intérêts soient :
- Avérés. Bien sûr, on doit disposer de suffisamment de preuves et de déclarations publiques d’intérêts pour l’attester.
- Forts. On entend par là des rémunérations directes et durables (salarié, actionnaire, etc.), des contrats de consultants, des activités de conseil, des avantages nombreux mais aussi régulier.
- Récents. La question de la prescription des liens d’intérêts est un débat éminemment important… et complexe. Mais la logique veut que les liens d’intérêt le plus récent soient les plus importants.
Tout doit bien sûr être pondéré et minutieusement analysé pour faire émerger la réalité des liens d’intérêts qui unissent un chercheur avec une société privée. C’est que nous allons faire.
Nos quatre auteurs sont :
- Mandeep Mehra
- Sapan Desai
- Frank Ruschitzka
- Amit Patel
Analyse des liens d’intérêts des auteurs du Lancet
Mehra et les conférences Gilead
Mandeep Mehra, le premier auteur de l’étude négative du Lancet, est accusé d’être à la botte de Gilead pour deux principales raisons :
- Il anime des conférences sponsorisées par Gilead
- Il dirige le centre de cardiologie de l’hôpital Brigham à Boston qui a testé le remdesivir de Gilead
Pour le premier point et les conférences, c’est vrai et faux à la fois. On peut effectivement retrouver une vidéo publiée sur YouTube où Mandeep Mehra est interviewé pour détailler et expliquer les résultats d’une de ses études.
Une vidéo qui fait le point de l’étude de Mehra sur les différentes thérapies possibles du Covid-19 où l’on voit apparaître le logo de Gilead en arrière-plan. Il n’en fallait pas plus.
Bref, cette “conférence” n’est pas une conférence comme on peut se l’imaginer. C’est à dire les grands congrès où les invités se voient payer l’ensemble de leur frais de déplacement, d’hébergement et les billets d’entrée souvent prohibitifs.
Des sommes faramineuses où les conférenciers épandent leur savoir devant un parterre de médecins et de spécialistes à l’écoute, dans de grands centres de convention.
Non, ce n’est rien de tout ça. Nous avons là Mandeep Mehra interviewé depuis chez lui, en visioconférence, par un homme qui travaille manifestement pour Gilead (où qui a reçu des fonds du groupe, mais on ne saura probablement jamais) afin de réaliser cette petite interview.
Peut-on imaginer un seul instant que donner 25 minutes de son temps, très probablement gratuitement, pour expliquer les résultats de sa recherche sont des preuves suffisantes pour affirmer que Mandeep Mehra est à la solde de Gilead ?
Franchement non. Utiliser le terme de conférence est déjà presque hors de propos pour ce type de performance. On est extrêmement loin du “lien d’intérêt patent” décrit par l’auteur de l’article sur nos quatre scientifiques.
Une clarification à l’auteur va être demandée, pour savoir si oui ou non il a reçu une compensation financière (ou autre chose) pour ces 25 minutes passées sur YouTube.
Mise à jour importante (27/05/2020)
Mandeep Mehra vient de répondre à mes sollicitations, et m’a précisé qu’il n’a reçu aucune compensation financière pour cette présentation faite à la demande d’une société scientifique espagnol.
Il précise que cette présentation est une “courtoisie académique”. Ces informations vont donc bien dans le sens d’une absence de lien d’intérêt entre le docteur Mandeep Mehra et le laboratoire Gilead.
Concernant le second point, là aussi, on surfe sur l’imaginaire collectif et l’insinuation pour tenter de décrédibiliser l’auteur, sans avancer la moindre preuve solide.
Il est vrai que le site hospitalier de Brigham a été choisi pour tester le remdesivir de Gilead. Mais cela n’a strictement aucun lien avec le docteur Mandeep Mehra. Aucun. D’autres chercheurs ont été impliqués, et peut-être rémunérés, nous n’en savons rien.
Mais insinuer sur la base de son affiliation avec l’hôpital Brigham qu’il aurait des liens d’intérêts avec Gilead est une fantaisie sans nom. Tant qu’on y est, tous les scientifiques de l’hôpital ont des liens d’intérêt avec Gilead à cause de cette étude ! C’est juste invraisemblable.
Les laboratoires pharmaceutiques ne réalisent pas leurs essais cliniques dans la rue… mais bien dans des hôpitaux sélectionnés. Des chercheurs seront les investigateurs de ces études. Seulement ces personnes-là auront potentiellement des liens d’intérêts avec le laboratoire.
Autrement dit, il n’y a vraiment rien de sérieux ni de probant dans les faits et les déclarations de Mandeep Mehra qui pourraient faire croire à de véritables conflits d’intérêts avec Gilead.
La suite est pire.
Sapan Desai : pas le moindre lien avec Gilead
Sapan Desai est accusé d’être à la botte de Gilead car il est à la tête de la société Surgisphere, notamment responsable de l’extraction des données de l’étude, qui commercialise des kits de dépistage du coronavirus.
Et là attention, Éric Verhaeghe nous prévient qu’il faudrait être “fameusement gonflé pour imaginer qu’un gars à la tête d’une entreprise qui entend dépister le coronavirus à grande échelle voudrait décourager un produit prévenant cette maladie au moyen d’arguments que personne ne va vérifier…”
Voilà le niveau de l’argumentaire. L’auteur insinue que c’est dans l’intérêt de Sapan Desai de démolir une thérapie possible contre le nouveau coronavirus… pour vendre plus de test.
Sapan Desai n’a pourtant aucun lien financier ou moral avec Gilead, ni avec aucun autre laboratoire, mais on écrit strictement l’inverse ou on l’insinue. C’est moche.
Frank Ruschitzka : les insinuations
Pour Frank Ruschitzka, qui travaille dans le centre de cardiologie de l’hospitalo-universitaire de Zurich, c’est du même acabit.
L’article qui recense les “conflits d’intérêts” stipule que les liens entre le cardiologue et Gilead “sont moins facilement apparents” mais il remarque que le chercheur “a testé, en 2010 le Darusentan, produit par Gilead”
Bingo ! Une “collaboration” pour l’auteur qui “ne s’est pas arrêtée là” puisque Gilead “semble être un financier régulier de l’université de Zurich, comme l’indique un article scientifique de 2019 sur le SIDA, publié dans la prestigieuse revue Nature.”
Re Bingo !
Donc en fait, Éric Verhaeghe a cherché à tout prix des articles scientifiques produits par l’université de Zurich qui attestent de lien avec Gilead, pourtant sans aucun lien avec Frank Ruschitzka, afin de prouver que ce dernier a des liens d’intérêts avec Gilead.
C’est fort. Même la première insinuation est complètement farfelue. Frank Ruschitzka n’a aucunement testé le Darusentan de Gilead, mais a réalisé ce qu’on appelle une synthèse scientifique sur ce produit, sans déclarer de liens d’intérêts.
Seul reproche notable, il manque le financeur de cette revue.
Mais encore plus drôle, si on regarde avec attention d’autres publications du cardiologue suisse, on remarque qu’il a reçu des rémunérations de la part… de laboratoires qui n’ont rien à voir avec Gilead, et notamment de Sanofi qui produit le plaquénil !
Comble de l’ironie. À en croire le raisonnement de l’auteur de l’article sur la toile, Frank Ruschitzka aurait tout intérêt à démontrer l’intérêt de l’hydroxychloroquine !
Amit Patel : le faux boursicoteur
Pour le dernier auteur, Amit Patel, on atteint l’indécence journalistique, les bas-fonds de l’enquête.
Suivez bien, c’est du caviar. Amit Patel a publié une pré-impression (donc ce n’est pas une étude relue par les pairs dans un journal comme le Lancet) sur l’efficacité d’un médicament produit par Merck (Ivermectin) contre le Covid-19.
Où sont les liens d’intérêts avec Gilead alors ? Il n’y en a tout simplement pas. Aucun. Mais l’auteur du site “le courrier des stratèges” va faire croire à ses lecteurs que le brave monsieur Patel est un méchant calculateur qui investit en bourse… sur la base d’un commentaire qu’il n’a pourtant jamais écrit.
Cela n’arrêtera pas Éric Verhaeghe de lui imputer la paternité d’un commentaire anonyme qu’il n’a pas écrit (sur Reddit) mais qui mentionne son travail scientifique.
Vous pensez réellement qu’Amit Patel irait commenter son propre article publiquement pour y faire miroiter des possibilités d’investissement en bourse, sur la base d’une pré-impréssion non relue par les pairs (en plus d’être une “case-control study” avec un niveau de preuve très faible, voir mon article sur les différents niveaux de preuves en science).
À ce niveau, c’est vraiment inqualifiable.
L’auteur terminera cette longue liste accusatrice et ô combien parfaitement étayée par un paragraphe au titre ravageur “Au royaume des conflits d’intérêts…” où il précisera que tous ces éléments ne prouvent pas que l’étude du Lancet “est fausse”.
Cet article est le résultat flagrant d’une personne avec une idéologie marquée qui se repère très rapidement en surfant sur le site garni d’articles positifs sur Didier Raoult et son traitement et qui deviennent accusateurs dès que la preuve devient négative.
Ce manque de rigueur d’investigation et de recherche est une plaie pour informer loyalement les lecteurs et apporter des clés de compréhensions importantes.
La recherche de conflits d’intérêts
Je suis pourtant un fervent défenseur de l’indépendance de la recherche scientifique et médicale. Je passe beaucoup de mon temps à traquer les liens d’intérêts de nombreux chercheurs ou médecins (à la télé aussi…), mais jamais je ne me risque pas à inventer des liens d’intérêts ou exagérer à outrance des choses qui ressemblent à tout, sauf à des conflits d’intérêts patents.
Pour résumer et conclure :
- Les liens d’intérêts entre Mandeep Mehra et Gilead sont extrêmement mineurs, pour ne pas dire insignifiants (et doivent être prouvé).
- Les liens d’intérêts des trois autres chercheurs avec Gilead sont tout simplement inexistants, et résultent d’affabulations et d’insinuations.
- L’étude du Lancet doit impérativement être critiquée sur le fond, sur sa méthode, sur les points obscurs qui l’entourent et les nombreuses interrogations qu’elle soulève.
Plus que jamais, on a besoin d’analyse objective et d’un peu de retenue dans cette méga-controverse sur la chloroquine.
Voir justement ici quelques analyses sur cette controverse :
2 commentaires
Quel est votre avis sur le retrait de l’étude sur l’hydroxychloroquine dans The Lancet et The New England Journal of Medicine ?
Je vous remercie pour votre réponse.
Bonjour Ramirez,
J’ai écrit un article spécialement sur ce sujet : https://www.dur-a-avaler.com/lancetgate-comprendre-cet-echec-scientifique-et-ses-implications/
Excellente lecture !