Le récent podium de régime santé vantant les mérites de l’alimentation paléolithique révèle des subtilités intrigantes et dérangeantes. Le classement se base sur une méthode discutable qui produit des résultats aussi contradictoires que cohérents.
Sommaire
Certaines études attirent plus l’attention que d’autres. La dernière en date nous arrive tout droit du pays des Kangourous à l’autre bout du monde. Une étude qui propose de faire un classement unique de nombreux régimes alimentaires pour en extraire la substantielle moelle.
Quelles sont les meilleures façons de manger pour mettre tous les indicateurs au vert ? En voilà une question importante, aussi bien pour les spécialistes que les citoyens qui souhaitent savoir quoi mettre dans leur assiette!
Cette étude s’est proposé de faire une analyse globale de 58 études mêlant le régime paléolithique, méditerranéen, pauvre ou riche en glucides, avec index glycémique bas ou élevé, ou bien classique, etc.
10 modes alimentaires ont ainsi été passées aux cribles selon 11 marqueurs biologiques impliqués dans :
- l’inflammation
- la réponse glycémique
- la réponse lipidique
Thierry Souccar de Lanutrition a fait une analyse dans les grandes lignes de cette étude et de ses résultats, avec le régime paléolithique propulsé à la première place du podium des régimes santé.
Le régime DASH – un régime pauvre en sel contre l’hypertension et les problèmes cardiovasculaires – et Méditerranéen talonnent à la seconde et troisième place derrière notre alimentation préhistorique.
J’ai écrit sur Dur à Avaler plusieurs synthèses sur le régime paléolithique et méditerranéen qui montrent les résultats positifs de nombreux essais cliniques.
On retrouve en bas du classement les recommandations alimentaires nationales et les habitudes alimentaires occidentales, que l’on sait tous plutôt catastrophiques pour la santé.
Rien de bien surprenant là-dedans. Je n’aurais en théorie rien à rajouter à la présentation faite sur d’autres sites.
Mais je ne résiste pas à l’idée de vous présenter les détails de cette étude. Car quand on s’y penche d’un peu plus près, on réalise la complexité de ce type d’étude, en lien avec des biomarqueurs, et la pente glissante de ce genre de classement.
Le grand bazar glycémique
Sur nos 11 marqueurs – très connu et très classique – de la santé métabolique, nous en avons 3 sur le contrôle glycémique de notre organisme.
- La glycémie à jeun
- L’insuline à jeun
- La résistance à l’insuline (c’est l’indice HOMA)
C’est vraiment les 3 marqueurs de base que l’on retrouve dans toutes les études cliniques en nutrition et dans le check-up de routine pour évaluer des risques pour la santé.
Je vous présente donc les résultats graphiques de tous les régimes alimentaires (sauf la diète mexicaine avec finalement peu de résultats) et leurs effets sur nos 3 marqueurs.
Les résultats vont de 0 (pour un effet nul) à 100 (pour un effet important). Plus on se rapproche de 100, plus la diète aura de chance d’avoir des effets positifs importants. C’est l’inverse quand on se rapproche de 0.
Ces chiffres ont été obtenus grâce à l’indice SUCRA, dont je reviendrais plus en détail dans un prochain paragraphe.
Si vous avez bien vu ces graphiques comme moi, vous devez alors vous arrachez quelques cheveux de la tête ! L’alimentation avec un index glycémique (IG) ou une charge glycémique (CG) élevée a les effets les plus intéressants sur la glycémie à jeun !
Incroyable, non ?
Le régime paléo se trouve à la 6ème place sur ce biomarqueur. Le régime végétalien (mais plutôt à base de végétaux, incluant aussi le végétarisme) est à la seconde place, suivi de près par la diète méditerranéenne.
Comment expliquer qu’une alimentation supposée entraîner une forte réponse glycémique de l’organisme soit en réalité la meilleure pour contrôler la glycémie à jeun ?
On se trouve dans un paradoxe plutôt délicat. Il y a peut-être un problème dans la méthode de l’étude ou bien dans la définition d’une alimentation à IG/CG élevée.
Peut-être que cette dichotomie de l’alimentation n’est pas parfaite ? Difficile de savoir précisément.
Mais le bazar est loin d’être terminé. Car vous avez dû regarder ensuite le graphique sur l’insuline, un autre marqueur important impliqué dans de nombreuses maladies métaboliques, comme le diabète.
Et là, c’est le grand n’importe quoi. Les deux premières places du classement avec les effets les plus bénéfiques sont occupées par une alimentation pauvre en glucides (ce qui pourrait sembler logique) et riches en glucides (ce qui complique tout).
On parle d’une différence de 2 %.
Mais pour ce paramètre-là, on retrouve en dernière position la diète avec un IG ou CG élevé (26%), qui ferait donc pire que les recommandations officielles (59%) et nos habitudes occidentales (34%) !
On en perdrait son latin !
L’alimentation végétale en vert passe ainsi de la seconde à l’avant-dernière place pour la glycémie et l’insuline… pour finalement prendre la première place du dernier marqueur avec la résistance à l’insuline !
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je me demande comment on peut interpréter autant de variation dans ces données pour ces marqueurs !
On observe peu ou prou la même chose pour les paramètres lipidiques avec le « mauvais » cholestérol ou LDL et les triglycérides notamment.
Par exemple, l’alimentation pauvre en glucides (ou low carb en anglais) serait le top du top pour améliorer le paramètre « triglycéride » (avec une note de plus de 90%) mais se trouve dans le même temps le pire pour traiter le mauvais cholestérol (avec une note de moins de 20%) !
En termes de grand écart, ces résultats sont incroyables ! Et bonjour le casse-tête pour tenter de concilier effet lipidique et glucidique…
Inflammation vs. Glycémie et Lipides
En fait, on réalise que ce classement a été énormément influencé par les résultats sur les marqueurs inflammatoires.
- Les interleukines IL-6
- La protéine C-réactive (CRP)
Deux marqueurs pour lesquelles nous avons le moins de données, surtout les IL-6, et qui donnent un sérieux avantage à l’alimentation paléolithique.
Car si on regarde les moyennes de tous les paramètres lipidiques et glycémiques, les différences sont minimes.
Les 5 « meilleurs régimes » possèdent un score entre 59 et 56… soit 3 points de différences ! Autant vous dire qu’une différence aussi ridicule n’aura probablement aucune pertinence clinique.
Mais quand on rajoute les marqueurs inflammatoires, tout change.
On voit aussi peu de différences entre une alimentation avec des IG bas ou élevés.
Les problèmes de l’indice SUCRA
L’idée de rendre des milliers de données intelligibles et comparables avec un indice est séduisante, mais risquée.
Je l’ai démontré plus haut : des diètes extrêmement bénéfices dans un paramètre s’avèrent nulles pour d’autres rendant l’interprétation pour les professionnels très complexes.
Faut-il prendre en compte les moyennes globales ? Les marqueurs les plus intéressants ? Si oui, lesquelles ? Les moyennes sont-elles pondérées en fonction de l’importance des paramètres ? Non.
Et la méthode utilisée, SUCRA, pose question. Elle est débattue dans la littérature scientifique.
Une équipe nous avertissait des limites de cette méthode, en 5 points :
- les données probantes sur lesquelles se fondent les classements du SUCRA peuvent être de très faible qualité (synonymes : faible degré de certitude ou de confiance) et donc indignes de confiance.
- il existe généralement plusieurs résultats pertinents. Un traitement qui est le meilleur pour un résultat (par exemple, un résultat bénéfique) peut être le pire pour un autre résultat (par exemple, un résultat préjudiciable).
- des questions telles que le coût et la familiarité d’un clinicien avec l’utilisation d’un traitement particulier peuvent également être prises en considération.
- dans le processus de calcul, SUCRA ne tient pas compte de l’ampleur des différences d’effets entre les traitements (par exemple, dans une simulation particulière, le traitement classé premier peut être seulement légèrement ou beaucoup plus efficace que le traitement classé deuxième).
- le hasard peut expliquer toute différence apparente entre les traitements, et le SUCRA ne tient pas compte de cette possibilité.
En réalité, cette méthode n’a pas été suffisamment éprouvée pour produire des classements vérifié et pertinent nous préviennent d’autres chercheurs. Ils nous prévenaient en 2019 que « la robustesse des classements SUCRA n’a pas été formellement évalué dans la littérature, malgré la controverse qui entoure son utilisation. »
Autrement dit : la méthode est alléchante et sexy, avec une présentation des résultats facilement compréhensible à tous, mais la validité n’est pas forcément au rendez-vous.
Ce qu’il faut retenir
Vous me connaissez (ou alors enchanté!), vous savez que je pinaille sur les détails des études… car le diable s’y cache ! J’aime essayer de remettre en question mes avis et connaissances, tout comme vous devriez aimer remettre en question vos différentes croyances.
Cette méta-analyse ou analyse globale de nombreuses études rapporte globalement des résultats cohérents avec la littérature scientifique.
Je dis bien globalement.
Les moyennes des moyennes de tous les indicateurs physiologiques placent les régimes santé dans le haut du panier, et les plus problématiques plutôt au fond. Avec toutefois des résultats qui interrogent et laissent même perplexes.
L’idée n’est pas ici de retirer des médailles ou de crier à l’injustice et à la fraude. Sûrement pas. Mais plutôt de prendre conscience des contraintes méthodologiques appliquées à des résultats simples de prime abord, mais incroyablement complexes quand on s’y intéresse davantage.
J’ai également des doutes sérieux sur le processus de relecture par les pairs de ce travail australien. Pourquoi ? Pour deux raisons.
Le choix du journal est problématique. MDPI est un éditeur scientifique dont la réputation est vacillante, avec, on va le dire poliment, une politique de publication très laxiste tant que l’argent rentre dans les caisses.
La vitesse de publication est délirante. Il n’aura fallu que 40 jours en la soumission du papier, le retour des évaluateurs – et les modifications – et son acceptation officielle par le journal. Si ce délai est extrêmement variable et gagnerait à être plus court, il est compris entre 90 et 639 jours habituellement.
Finalement, les auteurs de cette méta-analyse précisent un point majeur : les compositions des macronutriments, donc les glucides, lipides et protéines, n’ont eu aucune sorte d’effet sur les marqueurs métaboliques.
Ce résultat est essentiel, et rejoins mon dernier avertissement sur la diabolisation abusives des glucides.
Il montre bien que l’alimentation paléo caracole dans le top du classement pour les mêmes raisons que la diète méditerranéenne avec l’accent sur
- des produits bruts et frais,
- peu transformés,
- avec des équilibres raisonnables dans toutes les familles d’aliments (sauf pour le paléo bien sûr avec l’éviction de nombreuses familles),
- une densité nutritionnelle importante…
Pour me faire l’avocat du diable de mes propres articles favorables au régime paléo, la qualité des preuves scientifiques sur ce sujet est moyenne. Nous avons encore trop peu d’études cliniques sur cette alimentation en comparaison avec d’autres.
Toutes les méta-analyses les plus récentes (ici et là) rapportent des bénéfices sur les marqueurs métaboliques et anthropométriques (poids, IMC, tour de taille), tout en appelant à la réalisation d’essais cliniques de plus grande ampleur.
1 commentaire
bonjour et encore un très grand merci !!!
aide à la lecture claire et pertinente, avec les points ” obscurs ” super bien expliqué
avec comme d’hab deux problèmes majeurs
– des indicateurs synthétiques qui agrègent un peu tout avec n’importe quoi
– de processus de publication de qualité variable
NB un petit rappel des différents régimes (ex HF/LC pour high fat / low carbohydrate) aiderait à la lecture
comme le rappel des principe d’un régime tel que DASH
mais c’est super, comme d’hab