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On entend parfois dire que les animaux sauvages n’ont pas de cancer. Une manière détournée pour nous faire peser l’entière responsabilité des cancers par nos actions. La vérité est loin d’être aussi simple. Pourquoi les cancers épargneraient-ils les espèces sauvages ?

La Nature sans cancer

On entend souvent que la Nature, bien que toujours parfaite mais souvent cruelle, n’est pas touchée par le cancer. Ce crabe qui envoie au cimetière des millions de personnes à travers le monde.

Dans la nature, point de malbouffe, de cigarettes aux 6.000 composés toxiques, ni d’alcool. Bien heureux sont les animaux sauvages qui se trouvent épargnés des causes responsables de 30 à 40% des cancers chez nous, l’homme.

Alcool : un verre est-ce déjà trop ? On nous a toujours dit : “un verre par jour est bon pour la santé”. Mais est-ce un message de santé publique ou du lobby de l’alcool ? Les résultats des études scientifiques sont contradictoires mais semblent indiquer une absence de risque avec un verre par jour.

22% des décès quand même. Ce n’est pas rien. Et ces chiffres augmentent année après année. La prévention a encore de beaux jours devant elle.

J’ai lu et entendu comme vous que les cancers étaient une caractéristique de l’espèce humaine. Un marqueur de la dégradation de nos organismes. On les pollue et on en paye le prix.

J’ai déjà entendu que les requins n’auraient jamais de cancer. Belle nature.

Les primates aussi. Nos cousins avec qui nous partageons 98% de notre génome, les chimpanzés, ne connaîtraient pas ces terribles maux (ou mot, au choix !)

Pour ceux et celles qui suivent Guy Tenenbaum, le Samouraï qui lutte contre son cancer de la prostate, et pour lequel je viens de publier une enquête inédite, il en est persuadé.

Il rapportait dans une vidéo son échange avec Thomas Siefried, un chercheur américain, sur l’inexistence des cancers chez les chimpanzés. Pour Guy Tenenbaum, du tac au tac, “c’est normal, ils ne peuvent pas aller au McDo ni au supermarché s’acheter du Coca-Cola !”

Élémentaire mon cher Watson.

Mais avec toutes ces affirmations et “on dit”, cela ne nous aide pas vraiment pour répondre à cette question.

  • Les animaux sauvages ont-ils, oui ou non, des cancers ?
  • Avons-nous des études dessus ?
  • Des autopsies, Des tableaux avec des noms de cancers imprononçables à côté de la case “Lion” ou “Baleine” ?
  • Finalement, le cancer n’est-il que le fardeau de notre espèce ?

On va voir tout ça ensemble.

Cancer : je ne crois que ce je vois !

Le premier problème à l’origine de cette idée selon laquelle les cancers ne toucheraient pas les espèces sauvages vient principalement du fait… qu’on ne les voit pas facilement, ces cancers.

Les animaux sauvages n’ont pas de registre des cancers. Des autopsies faites par des pandas médecins et des rapports très longs à écrire à cause des paresseux à la manoeuvre.

Et comme on ne croit que ce que l’on voit, il a été bien difficile de voir des bêtes sauvages avec des cancers, et plus difficile encore d’en estimer la fréquence, la gravité et les organes touchés.

Car les animaux sauvages touchés par le cancer ne sont généralement pas dans la meilleure des situations. Vous comprenez bien qu’au-delà de notre nombril avec la protection offerte par nos sociétés, la loi de la jungle n’est pas si douce que la notre.

Autrement dit, les cancéreux dans la nature sont des proies de choix pour les prédateurs. Fragilisés, parfois incapables de se déplacer ou plus rapidement que le congénère… Ils passent préférentiellement à la casserole.

Cela se rapproche du fameux biais du survivant dont je vous parlais dans les témoignages sur le cancer. Si les animaux touchés par des cancers agressifs meurent, on aura d’autant plus de mal de les voir, et donc de sous-estimer l’importance des dits cancers.

Les vieux et les jeunes aussi. Ce n’est pas vraiment un hasard s’ils sont majoritairement tués par des prédateurs. D’où le rôle écologique des prédateurs qui sélectionnent, en tirant de gros traits, les individus en meilleure santé.

Du coup, tout ceci rend plutôt difficile l’observation spontanée d’animaux sauvages cancéreux. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons longtemps cru que les cancers étaient quasi-inexistants dans la nature.

Les zoos et les précieux registres des cancers

La multiplication des zoos est devenue un outil stratégique pour les observateurs et scientifiques de la faune sauvage. Les zoos accumulent des animaux sauvages, souvent blessés ou par reproduction, et permettent de mesurer avec un poil plus de précision les éventuels cancers.

Mais vous me direz, on est plus dans la nature ! Et vous avez raison, à quelques nuances près. Pas mal de travaux sur les cancers des animaux en captivité se portent sur des bêtes fraîchement ramenées de leur habitat.

Et les cancers s’installent sur la durée. Tous les cancers ne se développent pas en un claquement de doigts une fois arrivés au zoo, avec l’impact que nous connaissons de l’alimentation et d’autres expositions à des polluants.

En bref, c’est plutôt un indicateur pas vraiment précis de ces fameux cancers. Et sans grande surprise, on remarque que oui, ces animaux sauvages ont bien des cancers.

Plusieurs analyses faites sur des chimpanzés en captivité montrent qu’environ 1 à 3% des animaux ont des cancers. De toutes sortes. Sur les glandes surrénales, la thyroïde, le pancréas, l’estomac, les poumons.

Des carcinomes dans l’œsophage, le foie, les reins, mais aussi des lymphomes, des fibrosarcomes et ostéosarcomes. On retrouve quelques joyeusetés communes avec nous, les humains.

Ces registres montrent une particularité importante : les spécimens âgés représentent l’immense majorité des cancers. 80%.

C’est bien l’autre paramètre majeur qui fait que l’on observe relativement peu de cancer dans la nature : les animaux sauvages n’ont pas la même espérance de vie que leur homologue en captivité ou ceux domestiqués.

Plus on vieillit et plus le risque de cancer augmente, pour de nombreuses raisons.

Les cancers dans la nature

Bon, trêve de plaisanterie. Elles disent quoi les études sur les espèces sauvages ? Les vraies, celles qui ne sont pas passées par la case “zoo” ?

Chez les baleines par exemple, que l’on a pour le moment jamais vu dans un zoo (et j’espère ne jamais voir cela…), ou les palourdes, les dauphins, les ratons laveurs, les cerfs ou même le Beluga, ces magnifiques mammifères marins.

Et bien les cancers sont bien là. On retrouve des lymphomes, des leucémies, des tumeurs de la peau, du cerveau, et notamment pas mal de cancers transmis par des infections à cause de certains papillomavirus.

Des ours en peluche, qui passent leur vie à dormir et parfois manger. (c) Jérémy Anso.

Chez les célèbres Koalas australiens aussi. Vous savez, ces mini ours en peluche que l’on pourra difficilement accuser d’être nourris avec de la malbouffe puisqu’ils ne mangent que des feuilles d’une espèce bien précise d’eucalyptus.

Au milieu du 20ème siècle, une expédition scientifique au Panama s’était intéressée au cancer des singes hurleurs, dont les mâles possèdent un cri sublime annonciateur d’une météo clémente, vivant dans la nature. Chez 292 cadavres de singes retrouvés, ils ont identifié 14 tumeurs uniquement chez les adultes. On ignore le nombre d’individus touchés par la maladie, mais cela doit être faible.

Les zèbres non plus n’y échappent pas vraiment, les girafes, jaguars ou encore les lions de mer particulièrement bien étudiés pour les cancers qui touchent la sphère uro-génitale, les parties intimes.

La prévalence des cancers varie de 0 à 95% en fonction des espèces et des types de tumeurs malignes. Ils n’épargnent pas les animaux marins.

Ni les requins réputés être totalement préservés du mal (quoi que la fréquence semble très faible).

Des cas célèbres montrent l’importance et les ravages que peuvent avoir ces proliférations chaotiques et incontrôlables des cellules sur la survie d’une espèce.

Le fameux diable de Tasmanie, qui comme son nom l’indique ne vit qu’en Tasmanie, a bien failli disparaître pour de bon. En cause ? Une prolifération phénoménale de tumeurs sur la gueule qui ont décimé les individus. Je vous la fais courte, mais des phénomènes de résistances ont pu se développer chez certains individus, et couplés avec des programmes de sauvegarde de l’espèce, le diable de Tasmanie semble reprendre ses marques, et hurler de nouveau dans les forêts de cette superbe île.

La raison de cette prolifération catastrophique se trouverait dans le génome des diables de Tasmanie. En l’absence de diversité suffisante, les diables ont accumulé des tares génétiques puis des faiblesses immunitaires les rendant plus sensibles à certaines maladies.

On a aussi des exemples contraires, avec le cas énigmatique des éléphants, très peu touchés par les cancers comparés aux autres espèces animales. C’est d’autant plus étrange, qu’une loi biologique précise que plus l’organisme est grand, plus le nombre de cellules sera grand et plus le risque de multiplications anormales sera élevé. De tumeur et cancer donc.

Pourtant, les éléphants sont “épargnés” par la maladie, avec une mortalité entre 3 et 6%. Si on connaît tous quelqu’un qui a une mémoire d’éléphant, je n’ai encore jamais entendu dire qu’il avait une santé d’éléphant en référence au cancer.

Le secret de cette protection inégalée dans le règne animal ? Un gène anti-cancer, le TP53, que l’on nomme humblement le “gardien du génome” puisqu’il prévient le développement des cancers de bien des manières.

Alors si nous avons aussi ce gardien dans notre propre organisme, nous n’avons malheureusement qu’une seule copie alors que les éléphants affichent fièrement plus de 20 copies, expliquant a priori cette protection.

Voilà une petite histoire pour faire le malin dans les salons de thé de votre région !

L’homme “sauvage” épargné ?

Illustration d’une lésion osseuse qui montre un ancien cancer, une métastase. (extrait de The Prevalence of Cancer in Britain Before Industrialization)

MAJ 28/08/24

On pourrait faire ce petit jeu pour nous, les humains. Bien oui ! Si on regarde suffisamment loin dans le passé, avant la cigarette, la malbouffe, les polluants éternels, les gaz d’échappement ou l’amiante, peut-être découvririons-nous l’absence de cancer ?

Vous la voyez venir l’histoire de la marmotte et du papier alu ?

Plusieurs études conduites en 2021 illustrent à la fois la complexité de déterminer la fréquence des cancers il y a des centaines, voire des milliers d’années, mais aussi qu’ils n’étaient pas si rares que ça. Du moins, les cancers étaient bien là.

C’est en déterrant plus de 140 cadavres du temps des chevaliers que des scientifiques ont pu se faire une idée plus précise de la fréquence des cancers, chez ces gens pourtant épargnés des principales sources cancérigènes actuelles.

L’analyse des ossements montre, avec une marge de sécurité, que 9 à 14% des individus adultes étaient touchés par divers cancers. Les marques sur les os correspondent surtout à des métastases, dont il reste assez présomptueux d’en déterminer l’origine.

L’hypothèse principale plaide pour des myélomes multiples, des cancers des poumons, des reins ou de la thyroïdes.

Pour d’autres chercheurs qui se veulent plus prudents dans l’interprétation de ces données, on pourrait penser que les cancers tuaient entre 1 et 3% des gens à l’époque du Moyen-âge.

Mais est-ce vraiment surprenant ? Le mythe d’une nature sauvage parfaite qui nous épargne d’une division cellulaire chaotique, des mutations génétiques rédhibitoires des infections cancérigènes prospèrent abusivement.

En fait, nous avons même des travaux qui montrent la présence de ces cancers sur nos ossements… il y a plus de deux millions d’années ! On pourra difficilement accuser McDonald ou Philip Morris International d’en être les responsables. Ni la pollution aux hydrocarbures ou aux microplastiques.

On oublie un peu vite que les bactéries, les virus et autres pathogènes parasites vecteurs de cancers touchent aussi l’espèce humaine. Ce travail nous apprend que les premiers “cancers” remontent à très longtemps, un milliard d’années probablement.

Autrement dit, un environnement sans le moindre pesticide et biscuit industriel ultra-transformé n’est pas la garantie d’un monde sans cancer.

La grave responsabilité humaine

À ce stade de l’enquête, on peut dire que oui, bien sûr, toutes les espèces animales sont touchées par le cancer. À des degrés divers, dans des zones précises, et surtout, avec une magnitude autrement plus faible que chez nous.

Il faut dire qu’on cherche la petite bête. Alcool, pollution environnementale, mauvaise alimentation, tabagisme… On rivalise d’ingéniosité pour se détruire la santé.

Et je ne vous apprends rien, nos comportements impactent aussi négativement les populations animales. On détruit leur habitat, on les extermine et en plus on augmente leur risque de cancer.

Nous avons pléthores d’exemple malheureusement, mais j’aimerais en partager un avec vous. Les bélugas. Vous savez, ces baleines blanches qui transpirent la mignonitude. On a tous vu cette vidéo d’un béluga qui récupère le téléphone d’une personne tombée à l’eau au bord d’un quai.

Ils sont beaux, et gentils en plus. On est vraiment indignes avec la faune (et la flore). Car une étude publiée en 2002 nous rappelle l’horrible vérité. Les bélugas ont quasiment autant de cancers que nous.

Pire encore, le cancer de l’intestin est plus fréquent chez eux que chez nous et les animaux domestiques, qui mangent pourtant un paquet de cochonneries (suivez mon regard).

En cause pour cette équipe de chercheurs ? La pollution aux hydrocarbures polycycliques aromatiques ou dans le jargon les HAP. Dit plus clairement, les rejets de nos usines, et en particulier dans l’estuaire de Saint Lawrence au Québec, où des bélugas y vivent.

Les HAP sont très susceptibles d’être responsables de l’augmentation de ces cancers. Des études comparatives avec les bélugas résidents en Suède montrent qu’ils sont 9 fois moins touchés par les cancers à l’origine des décès.

Les polluants sont loin d’être les seuls responsables. Rien qu’à cause de la déforestation et la fragmentation des habitats, on limite les possibilités d’accouplement et de brassage génétique. On réunit tous les ingrédients pour augmenter les sensibilités des espèces sauvages, et reproduire la -presque- catastrophe en Tasmanie.

Donc, plus que jamais nous devons prendre conscience de notre impact sur notre environnement, et la vie qui essaye de s’en sortir tant bien que mal.

On s’est un peu éloigné du sujet principal de l’article, mais c’était l’occasion rêvée pour parler de ça.

Quoi qu’il en soit, vous pouvez retenir les points suivants :

  • Oui, les espèces sauvages développent des cancers.
  • Elles développent probablement moins de cancer que nous, pour de nombreuses raisons.
  • Les cas de cancers et leur diversité sont probablement sous-évalués.
  • Notre impact négatif sur l’environnement (déforestation et pollution notamment) augmente la prévalence de certains cancers chez ces populations sauvages.

On reste en contact ?

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2 commentaires
  1. Bel article Jeremy et qui récapitule bien ce qu’on sait sur le cancer des animaux sauvages.
    J’ajoute que le cancer a toujours existé comme en témoigne les observations sur les fossiles de dinosaures dont on a noté que certains cas d’ossements étaient atteints de cancer.
    Donc, le cancer et l’organisme vivant est une longue histoire commune.

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