La victoire historique de Donald Trump et son futur « M. Santé », Robert F. Kennedy Jr., résonne comme une purge nécessaire des conflits d’intérêts et de la corruption du gendarme américain du médicament et des aliments. Vont-ils – et peuvent-ils – changer en profondeur le système en place ?
Sommaire
Le come-back et la purge
Une vague rouge a déferlé sur la carte des États-Unis d’Amérique. Donald Trump a été réélu à la présidence du pays de l’Oncle Sam avec une domination quasi historique sur le camp démocrate de Kamala Harris.
Dans le domaine de la santé qui nous intéresse, le retour de Trump pourrait bouleverser les équilibres aux USA, pour le meilleur comme pour le pire (pourrait-il relancer le débat sur l’hydroxychloroquine, notamment ?).
L’intégrité du gendarme du médicament américain est au cœur de ce second mandat. La défiance de plus en plus prononcée a été un terreau fertile pour obtenir une forte adhésion des citoyens américains.
La FDA (Food and Drug Administration) est logiquement dans la ligne de mire de Robert F. Kennedy Jr. (RFK Jr.) qui sera manifestement aux commandes d’un vaste plan pour redresser le pays.
Make America Healthy Again a fait mouche auprès des Américains. L’idée serait de balayer la corruption qui gangrène les instances médicales de Washington et d’apporter aux Américains des informations loyales pour prendre des décisions libres et éclairées.
Est-ce que la réélection de Donal Trump, et l’entrée de Robert Kennedy Jr, pourraient assainir la régulation du médicament aux USA ?
La situation actuelle est-elle à ce point mauvaise ?
FDA : où se cache la corruption ?
Si on peut douter du bien-fondé de certaines idées de Donald Trump (comme s’injecter de l’eau de javel si on a le covid), la situation du gendarme du médicament américain mérite d’être sérieusement questionnée.
La gestion des conflits d’intérêts est le point névralgique de l’affaire. Mais aussi les procédures, parfois obscures, dans l’évaluation et l’autorisation des médicaments. Les « revolving doors » aussi, j’en parle plus bas.
Les exemples de décisions surréalistes de la FDA ne manquent pas.
En juin 2021, la FDA donnait une autorisation conditionnelle pour l’Aduhelm (Biogen) dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Un sésame obtenu alors que 10 membres sur 11 du comité de conseil s’étaient prononcés contre.
La décision d’autorisation accélérée en l’absence de preuve d’efficacité sérieuse a été prise par les plus hauts cadres de l’administration américaine. Des enquêtes ont montré par la suite les nombreuses communications officieuses entre Biogen et la FDA, en bafouant les règles établies.
De nombreux membres du comité de conseil ont démissionné à la suite de cette décision improbable prise en haut lieu.
On retrouve un cas similaire avec l’autorisation accélérée de l’Exondys pour traiter la maladie de Duchenne, prise par les plus hauts dirigeants de l’administration, alors que les preuves d’efficacité contenaient des failles graves dans la méthodologie.
Dans un autre registre, un comité consultatif de la FDA composé de 14 membres a recommandé l’autorisation d’un appareil conçu pour réparer les valves cardiaques. Sauf que 10 membres avaient reçu des paiements des laboratoires Abbott… qui commercialisent l’appareil en question (1).
Ces conflits d’intérêts n’ont pas été déclarés en premier lieu lors du processus d’évaluation du dispositif médical.
Ce sujet est d’autant plus délicat que les échanges entre la FDA et l’industrie pharmaceutique sont inévitables. C’est l’essence même du travail de l’agence.
D’où l’importance de sérieusement encadrer la nature de ces relations, et d’enregistrer avec précision les échanges, les déclarations d’intérêts en s’intéressant aux fameuses « revolving doors ».
En Europe, le gendarme du médicament (EMA) peine à être indépendant avec un financement important de l’industrie pharmaceutique. Son indépendance n’est pas garantie, ni la qualité de sa régulation.
Les conséquences sont colossales pour les patients. Plus d’un médicament sur deux autorisé contre le cancer n’apporte aucune amélioration pour la survie des malades une fois évaluée en condition réelle.
« Revolving doors »
L’autre point noir de ces agences de régulation concerne les « revolving doors » ou les « portes tournantes ».
Un terme anglais pour désigner ces personnalités qui ont fait carrière dans l’industrie pharmaceutique et se retrouvent propulsés dans des instances gouvernementales en charge de réguler cette même industrie.
L’inverse arrive aussi.
Des directeurs d’agences sanitaires peuvent se retrouver du jour au lendemain aux mains d’une firme pharmaceutique en tant que conseillers pour les aider à obtenir les précieuses autorisations de mise sur le marché.
En mars 2019, le commissaire exécutif de la FDA, Dr Scott Gottlieb, démissionne de son poste pour intégrer 4 mois plus tard… le conseil d’administration de Pfizer (2).
C’est l’équivalent en France du directeur de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament qui prendrait fonction dans l’un des plus grands laboratoires de la planète.
Jeffrey Siegel, en charge de superviser l’évaluation du tocilizumab (dont je parlais de l’emballement médiatique en avril 2020) produit par Genentech, est un autre exemple de « portes tournantes » qui hérissent le poil.
Après avoir démissionné de son poste chez le gendarme du médicament, il est propulsé comme directeur du pôle de rhumatologie et maladie rare… de Genentech.
Des situations aussi incroyables que fréquentes.
Une enquête en 2018 sur 18 anciens évaluateurs de la FDA a montré que 11 d’entre eux ont par la suite été embauchés par la firme pharmaceutique qu’ils ont évaluée (3).
On peut voir ces mouvements comme des récompenses pour le service rendu dans l’agence du médicament américain. Ces passages du secteur privé au public (et inversement) posent bien évidemment problème.
Les anciens directeurs bénéficient d’un carnet d’adresses inestimable avec une connaissance des circuits de l’évaluation comme personne. Les leviers pour obtenir ainsi une décision favorable – en dépit de preuve fragile ou inexistante – sont largement augmentés.
Cette situation a été scrutée par Sepehr Roudini de l’université de l’Iowa aux USA. Dans une prépublication (une arme à double tranchant en science) parue en décembre 2023, il évalue l’impact des embauches d’anciens cadres de la FDA dans le monde pharmaceutique (4).
Une analyse en demi-teinte, avec trois conclusions majeures :
- Le taux d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) délivré à la firme pharmaceutique qui embauche un ancien cadre de la FDA augmente significativement
- La valeur boursière de la firme augmente lui aussi après la réussite de ces « revolving doors »
- Mais la qualité des AMM ne serait pas en baisse, sur la seule base des analyses des rappels de la FDA qui n’augmente pas
Ces résultats ne permettent pas de faire des analyses fines, et au cas par cas, comme on a pu le voir avec les exemples précédents. Mais cette analyse a le mérite de montrer une chose : il faut prouver que ces relations nuisent réellement à la qualité de l’évaluation médicale.
Cette situation n’est pas une nouveauté.
La législation américaine a tenté plusieurs fois de s’attaquer à ce dilemme. Déjà en 1971, un comité de conseil du président Nixon en parlait en ces termes :
« La FDA partage le problème de la plupart des organismes de réglementation, à savoir que la plupart des possibilités d’emploi offertes à leurs employés après leur départ du service public se situent dans l’industrie réglementée. Cette situation ne peut que susciter le soupçon que les membres du personnel sont trop sensibles, ou du moins inconsciemment sympathiques, aux besoins et aux revendications de l’industrie, simplement parce qu’à long terme, ils travailleront probablement dans l’industrie en question. »
En conséquence, des lois éthiques ont été votées pour limiter ce phénomène, du moins le contraindre. Mais dans les faits, la loi est une véritable passoire.
L’article 207 du code américain prévoit une année de « réflexion » ou « d’interdiction de contact » des anciens cadres supérieurs de la FDA. Dans les faits, la loi interdit de « faire sciemment, avec l’intention d’influencer, une communication ou une comparution devant … le département ou l’agence dans lequel cette personne a servi … en rapport avec une affaire quelconque ».
Autrement dit : cette loi n’empêche à aucun moment un haut responsable d’être débauché par une firme pharmaceutique, et de la conseiller.
Quelles solutions ?
En deux mots : transparence et restriction.
Une meilleure transparence dans la prise des décisions de la FDA.
Quand les hauts cadres décident d’autoriser un dispositif médical ou une thérapie pour une maladie orpheline contre l’avis des comités consultatifs, les décisions doivent être motivées et les échanges avec l’industriel retranscrits.
La déclaration des liens d’intérêts doit être systématique, y compris pour les comités de conseils, et entraîner le cas échéant des déports de certains experts avec des liens directs ou trop importants pour avoir un avis objectif.
Une restriction plus ferme sur les « revolving doors » devrait être entreprise. Mais ce sujet est très délicat. Une période réelle d’interdiction de travailler pour les firmes régulées par les hauts cadres doit être instaurée.
Ces décisions vont nécessairement décourager certains prospects qui verront des opportunités privées disparaître ou du moins se réduire. Ce sera une affaire législative complexe.
Des garde-fous peuvent être créés. Si une décision paraître arbitraire ou déraisonnable au vu des éléments scientifiques, une procédure de réévaluation au sein de l’agence pourrait être mise en place pour éviter de futurs scandales sanitaires et médiatiques.
Bien sûr, une meilleure régulation des produits pharmaceutiques et agroalimentaires devrait nécessairement passer par un personnel plus nombreux et mieux rémunérer pour gérer les dossiers avec rigueur et indépendance.
Mais cette vision risque de se confronter à la récente nomination d’Elon Musk, le patron de Space X et Tesla, au département de « l’efficacité gouvernementale » laissant planer l’ombre d’une purge dans le nombre d’employés.
Trump et RFK Jr vont-ils (et peuvent-ils) purger la FDA ?
C’est la grande question du moment, surtout avec son nouveau « ministre de la santé » incarné par RFK Jr qui souhaite faire une purge des agents corrompus de la FDA.
RFK Jr. L’a gravé dans le marbre sur X en déclarant que « oui, je vais mettre un terme aux portes tournantes ».
Mais les signaux d’action ne sont pas vraiment encourageants. Donald Trump n’a pas durci la régulation des conflits d’intérêts ni des « revolving doors » durant son premier mandat entre 2016 et 2020.
Pire, l’administration Trump n’a pu empêcher le départ de l’ancien directeur général de la FDA (Scott Gottlieb) chez le géant Pfizer. Est-ce que ce nouveau mandat sera l’occasion de rattraper 4 années perdues pour mieux réguler la FDA et les liens avec l’industrie pharmaceutique ?
Peut-être. Seul le temps nous permettra de le savoir et les actions qui seront prises. Mais Donald Trump n’envoie pas forcément les signaux les plus rassurants.
Il vient de nommer Susie Wiles en tant que secrétaire général de l’administration. Une personnalité avec une immense carrière, notamment dans le lobbying pour un géant américain en tant que coprésidente, Mercury Public Affairs (5).
Un groupe ayant travaillé, selon certaines sources, pour les plus grandes firmes pharmaceutiques de la planète (Pfizer, Novavax, GSK, Gavi, Johnson-Johnson, Gilead, etc.)
« Make America Healthy Again » ne sera pas une partie de plaisir pour RFK Jr. Car Susie Wiles, d’ailleurs félicitée par RFK Jr., est dans le giron des plus grands groupes agroalimentaires américains, n’allant pas nécessairement dans la direction de réduire ces aliments ultra-transformés.
Aliments ultra-transformés, de quoi on parle ?
On en parle de plus en plus, mais savez-vous pourquoi ces aliments devraient être limité au quotidien ? On associe une forte consommation d’aliments ultra-transformé avec le diabète, le surpoids et les maladies cardiovasculaires.
Les enfants ne sont bien évidement pas épargné par les impacts négatifs potentiels.
Il y a certainement des choses très intéressantes à faire, et surtout importantes, pour mieux contrôler les actions de lobbying sur la législation américaine. Mais la volonté de Robert Kennedy Jr. va probablement se heurter à une levée de boucliers des intérêts financiers colossaux qui sont en jeu.
Mettre fin aux « portes tournantes » ou « revolving doors » paraît impossible. Mais un meilleur contrôle des mouvements de hauts cadres peut être envisagé, discuté.
En contrôlant le Sénat, la Chambre, avec une majorité de Gouverneurs, nous verrons s’il obtiendra les soutiens nécessaires sans être rapidement évincé de l’administration Trump.
On jugera les actions plutôt que les promesses.
3 commentaires
J’ai lu, écouté, et partagé de nombreuses interventions de Robert Kennedy Jr datant d’avant son ralliement stratégique en dernier recours à Donald Trump — il n’a quitté le parti Démocrate qu’il y a un peu plus d’un an. Ses propos ont été délibérément caricaturés, et souvent falsifiés, par ceux qui se présentent comme “le camp du bien”. Par exemple, quand il dit que les vaccins devraient être évalués contre placebo par de vrais essais cliniques randomisés contrôlés, dans la mesure où ce sont des médicaments administrés sous obligation à des personnes en bonne santé. Ce qui n’est pas le cas actuellement… Cette seule position a permis aux journalistes de le cataloguer “antivax” et donc “complotiste” comme tous ceux qui s’opposent au discours “officiel”. Je remarque quand même que, depuis sa nomination (pas encore validée par le Sénat), il est passé chez certains du grade d’antivax à celui de “vaccine sceptic”.
Mais je partage l’optimisme très prudent de ton article : Kennedy (et d’autres personnalités de MAHA) aura peut-être les mains libres pour s’attaquer à la corruption, mais cette entreprise se heurtera à de gigantesques intérêts financiers. Côté positif, il faut aussi prendre en compte la nomination du sénateur Ron Paul qui se bat depuis des années pour rétablir la vérité sur le rôle des Américains dans l’apparition du SARS-CoV-2. Mais là, une partie de la population par ailleurs opposée à Trump approuve cette volonté de clarification. Donc on ne sait pas quelles forces vont dominer la politique américaine dans ce secteur santé-agriculture, qui aura certainement des retombées en Europe…
Bonjour Bernard,
Oui, il faut faire attention aux procès d’intention et certaines personnalités “disruptives” peuvent faire changer les choses en mieux, parfois. Comme dit dans l’article, il faudra attendre les actes avant de juger la pertinence des décisions réellement prise.
Ceci étant dit, pour la partie vaccin, j’ai quand même des doutes sérieux. Si des questions sont légitimes et doivent être scientifiquement répondu avec le plus grand sérieux (et il y a certaines choses à revoir), les affirmations de RFK plaident davantage pour un rejet de la vaccination que son encadrement plus strict. Les liens avec l’autisme mais aussi sont implication dans l’épidémie aux Samoas avec des dizaines d’enfants qui sont décédé de la rougeole après avoir instrumentalisé deux décès à cause d’une erreur de préparation ne m’encourage pas à la confiance.
Nous verrons bien quelles décisions seront prise et peut-être que les USA seront un laboratoire à ciel ouvert sur des sujets de santé publique majeur (il remet en question la fluoration de l’eau, et ma foi, pourquoi pas, tous les pays ne le font pas mais est-ce que cette solution est adapté aux américains et notamment le système de santé fait payer un lourd tribu sur les soins dentaires ?)
Les prochaines années risquent d’être extrêmement intéressantes, car comme tu le soulignes, les décisions américaines pourront avoir des conséquences directes sur le monde entier.
Cela fait plaisir de te lire de nouveau, j’espère que tu te portes bien !
je suis d’accord avec toi cher Jérémy, on va juger sur pièces dans le mois qui viennent si ce cher Robert va arriver à se battre contre ces géants de big pharma et Big Agri … et surtout s’il va rester en vie malgré ses gardes du corps…
En tous cas cette nomination a le mérite de faire bouger les lignes un peu partout et même en France où la presse mainstream le traite de complotiste depuis le début et même Jacques Attali, qui dans une interview récente l’a traité de débile avec un mépris incroyable et même une morgue de chevalier blanc de la vertu, un comble quand on connait son opportunisme et son nez creux …ça donnerait presque la nausée.
Donc je trouve ça très bien globalement ce qui se passe aux Etats Unis même si Trump est un personnage controversé et discutable quant à sa probité.
Merci encore pour tes infos si bien sourcées.
Pierre.